Monaco Energy Boat Challenge

Edit Content

Maritime : hydrogène, méthanol, bi-carburants… les solutions prennent forme à Monaco

12 Monaco Energy Boat Challenge

 La matinée s’est ouverte sous le signe de l’action et du pragmatisme. Organisée par la Fondation Prince Albert II, la Mission pour la Transition Énergétique et le Yacht Club de Monaco, la 6e édition de la Conférence Hydrogène & Carburants Alternatifs a rassemblé les acteurs du maritime venus confronter leurs ambitions aux réalités techniques et réglementaires.

Dans ses mots d’introduction, Bernard d’Alessandri, Secrétaire Général du Yacht Club de Monaco, a rappelé l’urgence de passer des intentions aux actes : « Nous parlons beaucoup, mais il faut agir. Chacun a un rôle à jouer. » Une ligne partagée par Virginie Hache-Vincenot, Directrice de la Mission pour la Transition Énergétique, qui a insisté sur l’importance de la coopération : « C’est en réunissant l’ensemble des acteurs que nous ferons émerger des solutions concrètes. » Du côté de la Fondation Prince Albert II, Salomé Mormentyn, Polar Initiative Manager, a, elle aussi, souligné le basculement en cours : « L’innovation n’est plus un concept abstrait. Elle est là. Nous devons maintenant l’adopter, l’adapter et l’accélérer. » L’intégralité des échanges est disponible en replay sur : https://energyboatchallenge.com/webtv-mebc/.

Décarbonation maritime : où en est-on vraiment ?

Pierre Ceccaldi, ingénieur Capenergies, a planté le décor. Le constat est limpide : le transport maritime pèse aujourd’hui près de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2050 sans mesures fortes. Face à ce scénario, la réponse doit être à la fois technologique et réglementaire. Pierre Ceccaldi a ainsi détaillé les leviers mobilisés, des exigences de l’Organisation Maritime Internationale et de l’Union Européenne à la montée en puissance des carburants alternatifs comme l’hydrogène, le méthanol ou l’ammoniac. Mais au-delà des solutions techniques, il a insisté sur un point clé : « La meilleure énergie reste celle qu’on ne consomme pas. » Sobriété, conception optimisée et exploitation raisonnée doivent accompagner les innovations pour espérer atteindre les objectifs de décarbonation.

conference hydrogene

Hydrogène et performance : la démonstration concrète d’Inocel

Co-CEO d’Inocel, Charles Boulanger est venu rappeler qu’hydrogène et hautes performances ne sont plus incompatibles. Après deux ans de développement, son équipe a mis à l’eau un bateau de 8 mètres propulsé par pile à hydrogène, affichant 490 chevaux et capable d’atteindre 90 km/h, soit des performances équivalentes à celles de son homologue thermique, avec seulement 25 % d’autonomie en moins. « Le bateau est là, il fonctionne et vous pouvez même l’essayer », a-t-il lancé aux participants. Au-delà de la vitrine technologique, c’est la simplicité d’intégration qui a guidé le projet : architecture compacte, réservoirs de gaz comprimé à 700 bars, pile à combustible développée en France, et système de propulsion comparable à celui d’un moteur à combustion classique. L’intérêt du concept repose aussi sur la rapidité du ravitaillement et un bilan environnemental maîtrisé, grâce notamment à l’approvisionnement en hydrogène vert. « Là où les batteries atteignent leurs limites en matière d’autonomie et de puissance, l’hydrogène prend le relais », résume-t-il. Mais pour que ces technologies se généralisent, il faudra, selon lui, une implication forte des parties prenantes : chantiers, régulateurs, acteurs du ravitaillement. « Sécurité, réglementation, ravitaillement… tout est lié. Si on veut que ça avance, il faut avancer ensemble », a-t-il insisté.

Réduction des polluants : agir sur les NOx, SOx et particules fines

Les émissions de polluants atmosphériques restent un enjeu encore trop sous-estimé dans le yachting, alors même que leurs effets sur la qualité de l’air dans les ports et les zones côtières sont bien documentés. Pour Engel-Jan de Boer, Global Yacht Segment Director chez Lloyd’s Register, le constat est sans appel : si le secteur progresse sur les émissions de CO₂, il doit désormais prendre à bras-le-corps l’enjeu des polluants locaux. « La réglementation va se durcir, il faut l’anticiper », a-t-il prévenu, en rappelant notamment l’entrée en vigueur progressive des zones à faibles émissions en Méditerranée.

Du côté des solutions, les initiatives se multiplient. Exequiel Cano Lanza, CEO de HyNaval, a détaillé les travaux de son entreprise sur les carburants alternatifs, en particulier l’hydrogène, qui permet de réduire drastiquement les émissions polluantes locales, tout en contribuant à la décarbonation.

Mais réduire les émissions ne se limite pas aux gaz à effet de serre. Natalie Quévert, Secrétaire Générale du SEA Index®, a profité de cette tribune pour officialiser une annonce majeure : une nouvelle extension du champ d’application du SEA Index® aux polluants atmosphériques avec AtmoSud. La Superyacht Eco Association SEA Index® et AtmoSud ont donc saisi cette occasion pour annoncer leur collaboration inédite visant à intégrer les émissions de polluants atmosphériques, en particulier les particules fines (PM) et les oxydes d’azote (NOx), dans le système d’évaluation environnementale du SEA Index® dédié aux super-yachts. C’est la première fois que les émissions de gaz à effet de serre, qui impactent le climat, et les polluants ayant des effets sur la santé seront mesurés ensemble dans un cadre unique et certifié par un organisme tiers. Jusqu’à présent, le SEA Index® se concentrait sur les émissions de CO₂, un indicateur de base essentiel pour comprendre l’impact climatique d’un yacht. Les PM et les NOx sont des contributeurs majeurs à la pollution locale de l’air dans les ports et les zones côtières. En combinant ces deux dimensions — impact climatique global et qualité de l’air régionale — le SEA Index® et AtmoSud entendent proposer une approche globale aux propriétaires, constructeurs et exploitants de super-yachts, afin d’évaluer et de réduire leur empreinte environnementale. Ce partenariat marque une avancée décisive vers la préparation aux futures réglementations et renforce le rôle moteur du Yacht Club de Monaco dans la mobilisation mondiale pour des océans et un air plus propres.

Pour Pierre-Charles Maria, Président d’AtmoSud, cette démarche est avant tout un signal fort adressé à l’ensemble du secteur. « Il ne s’agit pas seulement d’anticiper les contraintes réglementaires, mais bien d’améliorer concrètement la qualité de l’air dans les zones côtières, au bénéfice des habitants, des marins et des écosystèmes », a-t-il souligné.

Enfin, Carlo Bertoglio, Sales and Project Director chez Hug Engineering, est revenu sur les technologies disponibles pour répondre à ces enjeux : filtres à particules, catalyseurs SCR pour les NOx, solutions hybrides… Mais il l’a rappelé : sans une vision globale et intégrée, ces technologies resteront sous-utilisées, notant par ailleurs que le secteur maritime pourrait faire tellement mieux, la réglementation qui s’impose au secteur étant nettement moins contraignante que celle applicable à l’industrie automobile par exemple. « La clé, c’est l’approche systémique : de la conception du navire jusqu’à son exploitation quotidienne », a-t-il conclu.

Enfin, Enfin, Exequiel Cano Lanza, CEO de HyNaval, a rappelé ce constat partagé par l’ensemble des intervenants : l’utilisation de solutions de réduction drastiques de ces émissions toxiques, qui existent, ne seront jamais aussi bien que de passer à des solutions propres, y compris lors de rétrofits.

hydrogene conference

Hydrogène : construire l’infrastructure pour accompagner la transition

Six ans après la première table ronde dédiée à l’hydrogène organisée par le Yacht Club de Monaco, le constat reste le même : sans réseau d’avitaillement fiable, difficile d’imaginer un basculement du yachting vers l’hydrogène. Pourtant, sur scène, plusieurs acteurs ont démontré que les choses avancent, lentement, mais concrètement. Chloé Zaied, Présidente d’Ephyra et capitaine de bateau, en sait quelque chose. En 2021, son équipe lançait le premier bateau de plaisance à hydrogène certifié et opérationnel. Rapidement, la limite est apparue : « Impossible de vendre des bateaux à hydrogène sans station de ravitaillement », résume-t-elle. C’est ainsi qu’est née Ephyra et, en 2023, le premier écosystème complet à Marseille, avec bateau et station, a vu le jour. Un projet pionnier, fruit de deux ans et demi de travail avec les autorités portuaires et les usagers. Face à la demande croissante des ports et collectivités, Ephyra a décidé d’aller plus loin avec « Pump’hy », un concept de station standardisée pour créer un véritable réseau, d’abord en Méditerranée, puis en Europe. « On ne rêve pas, on construit. », insiste-t-elle.

Pour Erik Malterud, CEO d’Hyrex, l’enjeu est aussi technologique. Son entreprise développe des systèmes hydrogène clé en main pour applications maritimes, alliant performance et sécurité. Avec son démonstrateur en mer depuis quatre ans, Hyrex prouve la maturité de la filière. « Nous savons rendre ces systèmes intrinsèquement sûrs et simples à intégrer à bord », explique-t-il. Mais comme d’autres, il pointe le frein économique : « Sans incitations fortes ou avantage économique clair, pourquoi basculer vers l’hydrogène ? »

Philippe Lavagna, New Energies Terminals – Product Account chez SBM Offshore, rappelle que l’infrastructure portuaire suit une logique similaire à celle du pétrole il y a 65 ans : produire à terre, transporter en mer, stocker et transférer au large via des solutions flottantes. Mais s’il reconnait que cela ne peut s’envisager aujourd’hui pour l’hydrogène, il espère que l’évolution technique permettra une amélioration des conditions d’avitaillement.

Du côté des ports, Andrea Minerdo, Président de NatPower H, annonce le lancement du premier réseau mondial de stations hydrogène dans les marinas. « En Italie, nous avons déjà signé avec 40 ports », détaille-t-il. L’objectif : rendre l’avitaillement accessible et simple, en intégrant aussi le méthanol, de plus en plus plébiscité. « Il faut connecter tout l’écosystème, du port aux armateurs, via une plateforme numérique », explique-t-il, convaincu que l’offre précède la demande afin de résoudre l’équation « de l’œuf et de la poule », indiquant au passage que 98% des 500 armateurs avec lesquels il a pu échanger sont seraient prêts à franchir le cap s’ils étaient certains que les problématiques logistiques étaient résolues.

Enfin, Alessio Cogliati, Ingénieur chez Linde Gas Maritime, rappelle l’expertise du groupe, leader mondial des gaz industriels. Production, transport, stockage : il maîtrise toute la chaîne, avec plus de 200 stations hydrogène construites, notamment pour la mobilité terrestre et maritime. Mais là encore, tout dépend de la demande. « Le vrai frein n’est pas technique, mais économique et réglementaire », note-t-il. Sur le coût, il précise : « En Europe, le kilo d’hydrogène gris se vend autour de 10-12 €, le vert pouvant aller jusqu’à cinq fois plus. »

L’enjeu reste donc un équilibre entre incitations, évolution réglementaire et montée en puissance progressive des infrastructures. « Il ne faut pas rêver d’un réseau en deux ans, cela prendra du temps, comme pour le pétrole », conclut Chloé Zaied.

Energy Observer : explorer plusieurs voies pour décarboner le maritime

Eva Louvel, ingénieure embarquée en formation à bord d’Energy Observer, est venue partager l’expérience accumulée par ce véritable laboratoire flottant. Premier navire autonome en énergie grâce à un mix solaire, éolien, hydrolien et hydrogène produit à bord, Energy Observer permet de tester différentes briques technologiques dans des conditions réelles.

L’hydrogène est au cœur du système : l’énergie solaire alimente les batteries, qui peuvent être complétées par l’hydrogène produit à bord via l’électrolyse de l’eau de mer dessalinisée. Stocké à 350 bars, l’hydrogène permet d’étendre l’autonomie lorsque les batteries sont déchargées. « À autonomie équivalente, il faudrait 12 tonnes de batteries contre seulement 2 tonnes de technologies liées à l’hydrogène », a-t-elle rappelé.

Mais l’hydrogène n’est pas la seule piste explorée. Energy Observer 2, un cargo actuellement en développement, fonctionnera à l’hydrogène liquide, offrant 14 jours d’autonomie pour des trajets intra-européens. Le projet, soutenu par 40 millions d’euros de fonds européens, attend encore un opérateur maritime partenaire. Enfin, Energy Observer 3 testera une nouvelle alternative : l’ammoniac, utilisé à la fois comme carburant pour un moteur à combustion et comme vecteur d’hydrogène grâce à un système de « cracking » à bord. « L’ammoniac présente des avantages en matière de stockage et bénéficie déjà d’une logistique mondiale bien développée », a expliqué Eva Louvel, tout en soulignant les défis liés à sa toxicité et aux émissions de NOx.

Symbole de cette transition en marche, Energy Observer occupe cette année un rôle central au Monaco Energy Boat Challenge. Amarré durant toute la semaine dans la YCM Marina, le navire ouvre ses portes aux participants et au public sur réservation. Véritable passerelle entre la recherche, l’innovation et les jeunes générations, il permet aux étudiants de découvrir concrètement les technologies qu’ils expérimentent dans les paddocks. Pour beaucoup, c’est l’occasion d’approcher pour la première fois cet ambassadeur emblématique de l’innovation maritime durable.

Hydrogène liquide et solide : des solutions concrètes déjà disponibles

Le débat s’est poursuivi ce vendredi matin autour des solutions de stockage de l’hydrogène, enjeu crucial pour le développement du maritime décarboné. Pierre Tipner, Directeur de la division Cryogenic Hydrogen Storage chez Forvia, a ouvert le panel en rappelant les avancées de son groupe : « Nous avons déjà livré plus de 70 000 réservoirs hydrogène et accumulé l’équivalent de 34 millions de kilomètres parcourus. » Forvia s’est notamment lancé dans le développement de solutions de stockage pour le maritime, adaptées aux contraintes d’intégration. « Il n’y a pas de solution unique, mais des choix adaptés à chaque usage », a-t-il résumé.

Martin Kalecky, Product Manager pour les systèmes marins chez Chart Industries, a poursuivi en insistant sur la maturité du stockage d’hydrogène liquide : « Nous livrons des réservoirs depuis les années 1960, d’abord pour l’industrie spatiale, aujourd’hui pour le maritime. » Il a détaillé le projet européen SHIPES, développé avec Viking Ocean Cruises : des conteneurs mobiles transportant de l’hydrogène liquide, directement embarqués à bord, sans besoin de bunkerage. « Ces technologies sont réelles, les prototypes sont en fabrication. »

Du côté du stockage solide, Spencer Ashley, Directeur Innovation de PlusZero, a présenté ses solutions déjà commercialisées en Écosse : « Ces packs d’hydrogène solide sont manipulables à la main, rechargeables à basse pression et plus denses que des batteries lithium. » Une approche qui séduit notamment les universités, festivals et chantiers de construction.

Axelle Chatain-Gigou, Directrice Commerciale de Mincatec Energy, a confirmé le potentiel du stockage solide pour le maritime : « Pas de haute pression, pas de cryogénie, une intégration facilitée, notamment en retrofit et pour les bateaux passagers, avec un vrai gain en acceptabilité sociale. » Elle rappelle que ces technologies permettent d’imaginer des navires plus sûrs, avec un stockage sous le pont, compact et modulaire.

Un retour d’expérience concret est venu d’Olivier Poelman, Team Manager du TU Delft Hydromotion Team. Cette équipe étudiante néerlandaise, qui participe au Monaco Energy Boat Challenge depuis 2014, a conçu en un an un bateau à hydrogène liquide : « Si 25 étudiants peuvent le faire en un an, le secteur le peut aussi. La technologie est là. » Il souligne néanmoins les freins réglementaires : « Pour les petits bateaux, il est presque impossible d’obtenir une homologation. » Tous s’accordent sur un point : le stockage liquide ou solide n’est plus un pari pour demain, mais une réalité industrielle déjà disponible. La clé réside désormais dans l’adaptation aux usages, la formation et surtout la coopération entre acteurs. « Aucun ne peut avancer seul. Partage des connaissances et projets de référence sont essentiels », a conclu Spencer Ashley.

 

Superyachts et transition énergétique : le méthanol s’impose-t-il comme la meilleure option ?

Face aux défis de décarbonation du secteur, le méthanol se taille progressivement une place de choix. Lors de ce panel réunissant plusieurs grands noms du yachting, le sujet a été abordé sans détour : est-il réellement un pari gagnant pour les super-yachts ?

Pour Giangiacomo Zino, Directeur de T. Mariotti / GIN Superyachts, l’heure n’est plus à l’expérimentation théorique. Son chantier construit actuellement l’une des toutes premières unités de luxe dotée d’une motorisation bi-carburant diesel-méthanol. Un projet initié à la demande des propriétaires, désireux d’anticiper la fin de l’ère des hydrocarbures. « Nous avons dû tout reprendre depuis le début, adapter l’espace machine, collaborer étroitement avec les sociétés de classification… Ce projet est le fruit de compromis techniques et commerciaux », a-t-il souligné.

Dr. Bernhard Urban, Head of Development & Innovation chez Lürssen Werft GmbH, a de son côté livré une analyse méthodique des alternatives. Hydrogène, ammoniac, biocarburants, nucléaire… Tous présentent des limites, notamment en matière de stockage, de sécurité ou de disponibilité. « Au final, le méthanol coche le plus de cases pour répondre aux exigences environnementales et opérationnelles des super-yachts », a-t-il conclu. Selon lui, cette solution a aussi l’avantage d’être adaptable, aussi bien pour les moteurs thermiques que pour les piles à combustible via des procédés de reformage.

Simone Bruckner, Chief R&D Officer chez Sanlorenzo spa, a rappelé que son chantier a déjà franchi un cap concret : « Nous avons lancé l’an dernier un yacht doté d’une pile à combustible alimentée au méthanol pour couvrir les besoins énergétiques hôteliers ». Un second projet européen, baptisé Life Mystic, vise désormais la propulsion principale. Mais il alerte : la technologie est là, mais les infrastructures manquent encore, notamment pour l’approvisionnement en méthanol vert. « Aujourd’hui, nous devons importer le carburant depuis l’Allemagne pour tester nos prototypes en Italie », a-t-il expliqué.

Giedo Loeff, Head of R&D chez Feadship, s’est montré pragmatique. Si son chantier explore diverses voies (hydrogène liquide notamment sur le projet Breakthrough), il rappelle les contraintes physiques et économiques : « Stocker de l’hydrogène liquide prend 3 fois plus de place que le diesel. Ce n’est pas viable à bord d’un yacht de luxe. » Pour lui, la transition passe par l’hybridation et la flexibilité : propulsion électrique, bi-carburant méthanol-diesel, ajout progressif de piles à combustible… « C’est par étapes que nous avancerons, en suivant la dynamique des grands industriels du transport maritime et de l’énergie », a-t-il plaidé. Tous s’accordent : la technologie seule ne suffira pas. La formation des équipages, l’évolution des réglementations et le développement des infrastructures seront déterminants pour généraliser l’usage du méthanol.

Accélérer la transition : les moteurs bi-carburants comme solution de flexibilité

Dernier temps fort de la matinée, le panel consacré aux moteurs bi-carburants a réuni des représentants de l’industrie venus partager leur expertise sur ce levier technologique jugé incontournable pour réussir la transition énergétique. Francesco Concetto Pesce, Technical Specialist chez Dumarey, a ouvert la discussion en présentant plusieurs projets concrets, notamment un prototype de bateau de plaisance combinant moteur diesel et hydrogène. Avec un taux d’utilisation d’hydrogène atteignant 90 % à faible charge, ce système permet une réduction significative des émissions locales, notamment dans les marinas. « En couplant l’hydrogène à des carburants renouvelables type HVO, on peut viser une quasi-neutralité carbone sur l’ensemble du cycle de vie », a-t-il souligné, rappelant aussi les exigences élevées en matière de sécurité. Il a également présenté des travaux sur le méthanol, capable selon lui d’atteindre jusqu’à 98 % d’utilisation dans des moteurs bi-carburants, avec des performances prometteuses. « Le méthanol présente un compromis intéressant en termes de densité énergétique et de compatibilité avec le yachting », a-t-il expliqué.

 

Stefano Reggente, CEO de Meccano Engineering, a pour sa part rappelé les spécificités du yachting, très différentes des navires de commerce ou de croisière. « Sur un yacht, 75 % de la puissance est mobilisée uniquement pour les phases de navigation qui ne représentent que 10 % du temps d’exploitation », a-t-il détaillé. Selon lui, le méthanol s’impose comme une solution réaliste adaptée aux yachts de plus de 50 mètres, mais l’enjeu reste l’adaptation des motorisations à des formats plus compacts, adaptés aux yachts de 60 à 65 mètres.

 

Du côté des motoristes, Daniel Chatterjee, Directeur de la stratégie technologique et de la durabilité chez Rolls-Royce MTU, a insisté sur l’importance d’offrir de la flexibilité aux armateurs face à l’incertitude sur la disponibilité des carburants. « Le méthanol est un pari crédible, mais les volumes de production restent insuffisants à court terme. Les moteurs bi-carburants offrent une réponse pragmatique, en permettant de basculer d’un carburant à l’autre selon les besoins », a-t-il expliqué.

 

Même constat du côté d’Everlence. Son VP Europe et Amériques, Lex Nijsen, a rappelé les défis techniques liés au méthanol, notamment en matière de corrosion, mais estime que les moteurs bi-carburants représentent une solution transitoire essentielle : « Ils évitent les actifs bloqués et permettent d’adapter progressivement les flottes. »

 

Enfin, Giulio Pacini, Business Developpment Manager, Project Services chez Wärtsilä a conclu en présentant l’approche « fuel- agnostique » du groupe, qui investit dans le développement de motorisations adaptées à différents carburants (hydrogène, méthanol, ammoniac), tout en travaillant déjà sur des prototypes à combustion 100 % hydrogène. « La transition ne se fera pas d’un coup, il faut accompagner les pionniers et rester réalistes sur les étapes », a-t-il résumé.

Tous les intervenants s’accordent : les moteurs bi-carburants ne sont pas une solution définitive, mais un accélérateur indispensable pour enclencher la transition du secteur maritime, à condition d’anticiper dès aujourd’hui les contraintes d’intégration, les exigences réglementaires et la formation des équipages ; car le rétrofit utilisant ces solutions, en particulier avec le méthanol, reste une possibilité peu évidente à mettre en œuvre — alors qu’intégrer des solutions de motorisation flexible dès la conception des yachts devrait être une évidence.

 

 

Au fil des échanges, une certitude s’impose : la transition énergétique du secteur maritime ne se jouera pas sur une seule technologie ni sur de simples déclarations d’intention. Hydrogène, méthanol, moteurs bi-carburants, optimisation des consommations… toutes ces solutions doivent s’articuler dans une approche globale, pragmatique et progressive. Mais pour qu’elles s’imposent, la condition est connue : infrastructures adaptées, formation des équipages, évolution réglementaire et coopération entre tous les acteurs, en particulier pour l’acquisition et le partage de données et d’information, y compris avec les armateurs. C’est justement cette dynamique collective que Monaco entend encourager, en continuant de faire du Monaco Energy Boat Challenge un véritable laboratoire d’innovation et un catalyseur de transition.