Lundi 28 mars 2022. La table ronde du Monaco Energy Boat Challenge qui s’est tenue dans l’après-midi du jeudi 24 mars 2022 au Yacht Club de Monaco, à l’occasion de la 5e Monaco Ocean Week organisée du 21 au 25 mars, a permis aux intervenants d’échanger sur la thématique “Stratégie bas carbone et valeur ajoutée dans le yachting”, à la suite de deux keynotes d’introduction ayant posé le contexte.
La première, une intervention de Renaud Dupuy de la Grandrive, secrétaire de MEDPAN (ONG de gestion des aires marines protégées en Méditerranée) a expliqué comment, sous l’égide des Nations Unies, le nombre et la surface des aires maritimes protégées doivent pouvoir se développer à travers le monde d’ici à 2030. Ne couvrant aujourd’hui que 8% des océans, dont seulement 2% sont hautement restreintes d’accès, M. Dupuy de la Grandrive a indiqué que « l’objectif est d’atteindre 30% d’aires marines protégées en 2030, en particulier en Méditerranée et à proximité des zones côtières », suivant en cela l’exemple monégasque où la zone du Larvotto et ses 33ha font déjà partie des MPAs de la région ; l’objectif étant d’éviter à la fois les émissions polluantes et sonores sur ces zones, mais également de préserver les champs de posidonie, une algue essentielle à la survie de l’écosystème et de la biodiversité méditerranéenne trop souvent soumise à arrachage par les ancres des bateaux.
La deuxième intervention, menée par Laurent Perignon pour le Yacht Club de Monaco, a explicité le contexte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’OMI, et détaillé les pistes envisagées pour parvenir à une réduction de 30% d’ici 2030 par rapport au total de référence des émissions de 2008, et 50% d’ici 2050. Soit respectivement un effort de 40 et 70% de réduction totale par rapport à l’augmentation anticipée de la flotte de navires.
Tout en expliquant que la navigation mondiale représente 3% des émissions de GES, et que dans celle-ci on peut estimer que la grande plaisance (des yachts de plus de 24 m) n’en représente que 0,5% (sur la base de la formule de calcul Energy Efficiency Design Index développée par l’IMO), soit 0,015% du total. Laurent Perignon a insisté sur le fait que tous les acteurs ont un rôle important à jouer et qu’il ne faut pas se méprendre : afin de parvenir aux objectifs fixés par l’IMO, il faudrait en réalité que la flotte existante soit en mesure de réduire ses émissions de 65% si tous les nouveaux yachts qui vont la rejoindre d’ici 2030 étaient “zéro émissions” ; et donc une réduction d’environ 80% si cela n’est pas le cas.
Évoquant les pistes à approfondir dans la continuité de la réglementation MARPOL Annex VI, dont il a loué les bienfaits sur le fond, mais souligné la lenteur de mise en application, Laurent Perignon a, d’une part, expliqué comment une meilleure gestion des navires, qu’il s’agisse de réduction de la vitesse, d’optimisation énergétique ou de conception, devait déjà permettre de réduire de 20-25% l’impact des yachts sur l’environnement ; et il a, d’autre part, détaillé comment le recours à des carburants alternatifs écologiques était déjà envisageable, malgré certaines complexités de coûts et d’infrastructures, quand les technologies permettant la transition existent et sont matures.
Les invités de la première partie de la table ronde, Engel Boer, en charge du yachting pour la société de classification Lloyd’s Register, Charles Dence, associé chez Spark Marine Projects, et Jeroen Droogsma, en charge de l’innovation chez le concepteur hollandais Vripack, ont rebondi sur les explications de M. Perignon sur la partie “amont” de la grande plaisance, à savoir la conception et la construction des navires. Engel Boer n’y est d’ailleurs pas allé par quatre chemins. Officiant pour une société de classification dont le principe est l’analyse du risque, il a insisté sur la résistance au changement du secteur et de ses acteurs, face à qu’il a appelé le “trilemne” : écologique, technologique et économique.
Expliquant comment son travail était justement fait pour se garantir du bon fonctionnement d’un navire, il a confirmé que tout était en place, les technologies comme les réglementations, pour pouvoir anticiper la transition et faire que les yachts d’aujourd’hui soient déjà aussi bas carbone que possible. Jeroen Droogsma lui a d’ailleurs rapidement emboité le pas : estimant que les évolutions technologiques ne sont possibles que par la collaboration entre les différents acteurs, saluant également le travail des universités prenant part au Monaco Energy Boat Challenge, tout en appelant de ses vœux les chantiers à s’impliquer plus dans ce travail d’expérimentation, malgré les coûts (que d’aucuns appelleraient investissements) induits. Charles Dence a quant à lui fait part de son expérience “marché” : il a effectivement estimé qu’une faible minorité d’armateurs, et donc de chantiers, s’impliquaient dans des projets innovants, et que, si la notion de valeur “premium” de yachts éco-responsables était acceptable par le marché, il était difficile de dire à quelle hauteur elle pouvait se situer. Farouk Nefzi, Directeur Marketing chez Feaship, présent dans la salle, n’a pas manqué de réagir, expliquant que plusieurs chantiers, en particulier ceux qui construisent de grandes unités, sont de plus en plus sollicités par les armateurs à améliorer la situation, qu’ils devancent leurs demandes, et que de nombreux projets décarbonés sont en cours de réalisation.
La deuxième partie de la table ronde était consacrée à la dimension “aval” et opérationnelle des yachts, une fois mis à l’eau. Elle rassemblait Nicolas Mior, en charge du yachting chez l’assureur Jutheau-Husson, Patrick Coote, directeur Europe de la maison de courtage Northrop & Johnson, et Pierrick Devic, courtier charter chez Fraser Yachts. Rebondissant sur les remarques précédentes, Nicolas Mior a confirmé que le fait d’opter pour des solutions technologiques innovantes et à vocation écologique ne posait pas de problème pour assurer un yacht, bien au contraire. Son constat était même plutôt que les assureurs y étaient favorables car cela traduisait aussi un état d’esprit, les armateurs s’orientant sur de tels investissements ayant à cœur de bien gérer et entretenir leurs unités.
Ainsi, sans crainte d’avoir des primes d’assurance plus élevées, il n’était pas inenvisageable que des yachts plus propres puissent au contraire bénéficier d’une sorte de bonus écologique. Questionnés sur la perception du marché sur l’éventuelle valeur ajoutée, à court comme à long terme, de yachts plus éco-responsables, MM. Devic et Coote ont fait un constat plutôt sans appel. Pierrick Devic a expliqué que Fraser Yachts avait souhaité depuis trois ans promouvoir la thématique auprès de ses armateurs et capitaines, mais que la situation restait celle de la problématique de “la poule et l’œuf”, l’offre du marché étant plus qu’insuffisante pour conduire les clients charter à avoir un choix à faire entre des yachts “polluants” et “propres”. Dans ces conditions, estimer une différence de tarifs entre ces deux catégories pour un même profil relevait de la gageure. M. Coote a pour sa part expliqué, graphe à l’appui, que le marché n’était même pas encore entré dans sa phase “early adopters”, et que s’il fallait comparer avec l’adoption du photovoltaïque, le temps d’attente pouvait être encore long. Tous deux ont néanmoins émis une note d’optimisme, espérant qu’avec de nouvelles unités plus éco-responsables arrivant sur le marché, l’effet d’entrainement pourrait se faire rapidement sentir. Car tous ont convenu que la valeur ajoutée d’une plaisance “verte” serait bien réelle à moyen terme, en particulier dans le cadre de l’évolution des Zones à Émissions Contrôlées (Emission Control Areas) mises en exergue par l’OMI, et qui pourraient englober prochainement l’ensemble de la Méditerranée, ainsi que pour répondre aux attentes des jeunes générations, beaucoup plus sensibles à ces questions que leurs aînés.
La conclusion de cette table ronde, mélange de désarroi sur la situation actuelle tout en se voulant farouchement optimiste, se trouve peut-être dans la synthèse proposée en fin de session par M. Espen Oeino, architecte naval : qu’il s’agisse de zones protégées, de taxe carbone ou de carburants alternatifs, M. Oeino a estimé que les évolutions ne pourraient s’accélérer qu’en fonction de volontés politiques.
Soulignant, à titre d’exemple malheureux, comment la crise ukrainienne avait précipité l’augmentation des prix des carburants fossiles, il a insisté sur le fait que l’adoption par un plus grand nombre de solutions décarbonées ne pourrait se faire que si un équilibre économico-écologique peut être envisagé, allant de pair avec le développement d’infrastructures adaptées et l’ambition des pouvoirs publics de conduire la transition énergétique par des choix clairs et assumés permettant aussi que les surcoûts qui y sont liés soient plus facilement assimilables à l’usage.
La 9e édition du Monaco Energy Boat Challenge organisé par le Yacht Club de Monaco se déroule du 4 au 9 juillet 2022, avec le soutien de la Fondation Prince Albert II. Il rassemblera une trentaine d’équipes venues de plus de 15 pays, et proposera, outre les traditionnelles compétitions sur plan d’eau, une exposition mettant en avant des solutions innovantes destinées à réduire l’impact environnemental de la propulsion des bateaux.
1er : JKU Deep Blue (Croatie)
2e : US National Team (USA)
3e : Club Nàutic Cambrils (Espagne)